Présence et perspective de champ gestaltiste

Dans Gestalt Therapy (1951), Perls, Hefferline et Goodman introduisent le concept du champ organisme/environnement. Ils entendaient que l’organisme et son environnement ne pouvaient être séparés, étant les parties d’une même unité, le champ. Le Self étant décrit comme une propriété émergente du champ non pas comme une structure mais comme un processus.

Dans cette idée de processus, nous verrons plus en détail comment, en gestalt, est décrit ce processus et les différentes modalités ou mécanismes à l’œuvre dans ce champ. Nous verrons brièvement comment une forme de qualité de présence permet d’observer cela.

  • Le processus du Self dans le champ organisme/environnement

La physique quantique postule que mesurer un événement perturbe l’événement et le résultat de la mesure est une combinaison à la fois de l’évènement et de l’action de mesurer. Similairement, lorsque nous entrons en relation avec une personne, une partie de notre vécu et celui de la personne sont « contactés », pour former une interaction. Cette interaction n’est pas moi, elle n’est pas l’autre mais une combinaison « moi-autre ». Dans toutes les interactions possibles entre moi et l’autre, certaines restent potentielles, d’autres s’activent et forment ce qu’en gestalt nous appelons le contact et prennent la forme, ou une figure, d’une expérience mutuelle. L’ensemble de ces interactions potentielles et celles qui sont actives forment ce que l’on nomme un « champ ». Plus généralement, nous sommes en permanence en interaction avec notre environnement : je respire, je sens, je touche, j’aime, je n’aime pas, nous parlons, je marche, etc….

Janin (2012) dit : « le statut particulier du contact est d’être un lien mobilisé au premier plan, ressenti, à quoi nous sommes présents ici-et-maintenant, alors que beaucoup d’autres liens demeurent à l’arrière-plan, tout aussi installés mais non ressentis. »

Robine (1998) nous parle du self en relation avec le champ : « le self n’est qu’un petit facteur dans l’interaction totale organisme/environnement, mais il joue le rôle crucial de découvrir et de réaliser les significations par lesquels nous nous développons. Perls et Goodman ne reconnaissent qu’une seule entité : le champ. Le champ est défini comme organisme/son environnement et le self désigne alors les mouvements internes du champ ». Ce que je vis dépend de l’autre, de ce qui se passe en moi ou autour de moi. Ainsi, « le self » dont parle Robine peut se comprendre comme une composante. Dans cette approche, « le self » n’est pas envisagé d’un point de vue spatial, ni attaché à un individu figé, seul, indépendamment d’un contexte ou d’un environnement, mais plutôt d’un point de vue spatio-temporel, évoluant, se modifiant en fonction de l’ici-et-maintenant, nourrit des interactions et surtout de sa capacité d’assimilation de l’expérience. Dans cette approche, le self regroupe la fonction « ça », la fonction « moi » et la fonction « personnalité ». Janin (2012) parle de ce processus comme « peu intense dans le ça, d’intensité croissante dans le moi et atteignant son apogée à l’entrée dans le plein contact, puis décroissant progressivement dans le mode personnalité. ». 

Dans l’interaction « moi-autre », la fonction « ça » se caractérise par ce qui apparaît comme autre dans notre espace intérieur et déclenche sentiments, pensées et émotions (Janin, 2012, p 190). La fonction « moi », est la caractéristique qui fait que nous nous identifions comme « je » face à l’autre (Janin, 2012, p 191). La fonction « personnalité », suite au contact, se caractérise par l’assimilation de l’expérience (Janin, 2012, p 193).

Dans l’interaction « moi-autre », il y a un cycle du contact de l’expérience, avec un début et une fin. C’est un cycle de quatre phases : pré-contact, contact, plein contact et post-contact (Janin, 2012, p 100 à 106). C’est seulement au cours de la phase de post-contact qu’il y a apprentissage ou assimilation. En fonction de notre état personnel et de la rencontre avec l’autre, nous pourrions parler de contact fertile, négatif, positif, neutre.

Ce cycle de contact est la description d’un processus, il peut être décrit de différentes manières. Nous avons choisi de montrer ci-dessous une version différente de celles abordés lors de la formation.   

Certains contacts doivent être refusés (Janin, 2012, p 214), comme par exemple avaler un poison. Parfois, c’est en refusant que nous préservons notre équilibre. Parfois, c’est en acceptant que nous le modifions, assimilons l’expérience et amorçons un changement vers un nouvel équilibre.

Ce que l’autre vit à notre contact, ce que cela déclenche pour lui dépend de ce que nous sommes finalement. 

L’acceptation de ce que nous sommes, l’intentionnalité que nous pouvons avoir, nos doutes, nos projections, nos introjets, la qualité de notre présence, notre posture de thérapeute, à l’occasion de la rencontre du patient sera mobilisée dans ce champ « relationnel » et affecte l’autre.

  • La fragilité du champ « nous »

Ce champ « relationnel » ou « nous » est en mouvement tout au long des échanges au cours de cette relation. Il se caractérise par une rencontre, à la « frontière-contact », mais n’émerge pas toujours et pas toujours longtemps, en raison de forces en présences que l’on nomme aussi les mouvements de régulation du contact.

Nous parlerons d’un champ « nous » lorsqu’il y a rencontre, dans un plein contact. Ce champ reste un champ relationnel lorsque les mouvements à l’œuvre empêchent ce contact.

Robine (1998, p 193) décrit ce champ « nous » : « il n’est pas un objet statique, permanent et indépendant. Au contraire, il est éphémère et unique, localisé dans le temps et l’espace et totalement interdépendant, avec à la frontière l’expérience acquise et assimilée, potentiellement contactée ». Il dit aussi : « Il est changeant, on pourrait considérer que c’est un mouvement ou plutôt un ajustement créateur tel un pas de danse ». Enfin, (1998, p 211) « ce champ est générateur de forme, forme que prend la relation. … ce nous n’est pas déterminé par le praticien ni par le patient mais serait une résultante, une co-création ».

Ce champ « nous », ce processus, est envisagé comme fragile, unique, tel un « accident ». Cette fragilité ou cette difficulté de se rencontrer peut aussi émerger de part nos différentes modalités à l’œuvre dans ce contact.

  • Les mouvements de régulation du contact

Au sein du champ relationnel, la gestalt nous parle de plusieurs mouvements de régulation ou d’interruption du contact. Ces différentes modalités sont en permanence à l’œuvre et modulent la forme, ou la figure, qui apparaît à l’occasion de notre environnement. Ils font partie de notre élan vital et peuvent être vue comme « sain » ou « pathologique » selon qu’ils sont choisis et ajustés ou bien subit.

Ces différentes modalités de régulation du contact peuvent être défini de la façon suivante :

  • Confluence : absence de frontière contact organisme/environnement.
  • Introjection : une partie de l’environnement vient dans l’organisme.
  • Projection : une partie de l’organisme se retrouve dans l’environnement 
  • Rétroflexion : un « mouvement » de l’organisme vers la frontière contact de l’environnement et reviens vers l’organisme 
  • Déflexion : un « mouvement » de l’organisme vers l’environnement avec changement de direction de ce « mouvement »
  • Proflexion : manipulation de l’environnement par l’organisme dans un « mouvement » de déresponsabilisation
  • Egotisme : absence de lâcher prise de l’organisme, l’environnement n’existe pas et durcissement de la frontière contact
  • Invalidation : refus d’assimilation de l’expérience par l’organisme

Ils correspondent à une manière de décrire certains processus à l’oeuvre, et ne sont pas une vérité en soi. Ils ne sont ni bons ni mauvais et sont un moyen pour l’organisme de s’ajuster à son environnement. Lorsque ceux-ci sont subis plutôt que choisis, ils deviennent pathologiques pour l’organisme dans un ajustement dit « conservateur ». D’un autre côté, lorsqu’ils sont choisis et permettent de s’ajuster à l’environnement nous parlerons d’ajustement créateur.

Dans ce schéma apparaît un mouvement de régulation de désensibilisation propre à l’approche de Margherita Spagnuolo Lobb. Ce mouvement est dit pathologique à l’étape de symbolisation, nouvelle selon son cycle du contact qu’elle a théorisé. Je ne rentrerai pas ici dans la description de ces éléments amenés par cette Gestalt-thérapeute, mais il est intéressant de noter qu’il peut y avoir des versions théoriques différentes pour les décrire.

  • Impact de la présence sur les mouvements de régulation du contact

La qualité de présence envisagée nous donne accès plus facilement à nos mouvements de régulation du contact. Nous sommes attentif à ce qui se joue à l’occasion de l’autre et simultanément, avec une compréhension de ce qui se passe. Nous pourrions dire que cela permet d’être en position « méta » de la situation, observateur de la situation vécu.

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